Les jeunes Rwandais qui ont grandi dans les années qui ont suivi le génocide ont hérité des cicatrices et des rêves de tout un pays. Il y a, entre les collines, dans le calme perturbant qui flotte dans l’air, dans les manières polies et les regards appuyés des gens qui vous croisent dans la rue, comme l’écho de ce traumatisme diffus qui flotte dans l’air. Mais l’espoir est bien là, car depuis cette époque, le Rwanda a su devenir, parmi les pays de la région, une terre d’opportunités boostée par la croissance économique.
Mais quelque chose, semble-t-il, demeure inexploité. Peut-être un non-dit. C’est là qu’entre en jeu la kinyatrap, ce mouvement global qui prend sa source au début des années 2000 en puisant dans les rythmes lourds et les basses poisseuses d’Atlanta. Là-dessus, à Kigali, un collectif de jeunes artistes aussi clairvoyants que poètes se sont emparés du micro et, dans leur langue riche en métaphores, se sont mis à rapper leurs réalités. B-Threy, le personnage principal du nouvel épisode de notre série Off the Map en fait partie. En reprenant le flambeau de la génération pionnière du hip-hop qui s’exprimait avec rudesse sur des beats boom-bap, B-Threy et ses copains Dr Nganji et Bushali se sont fait un nom dans la rue. Ils parlaient dans leurs textes des réalités qu’ils voyaient autour d’eux, et se tournaient vers un futur collectif qui les tirerait de là pour s’ouvrir de nouveaux horizons, et si possible, toucher des sommets.Mais
La kinyatrap est un mouvement qui est né des blessures et des perspectives de la génération post-génocide » raconte B-Threy, dans ce court-métrage documentaire (13mn) signé du réalisateur Michiel Robberecht. Orphelin de mère, il raconte comment la kinyatrap, qu’il a fondée avec sa bande de potes, est devenue cette nouvelle famille capable de fédérer toute une génération, au point de devenir la musique la plus populaire chez les jeunes de la capitale rwandaise.
« J’ai été fasciné par l’énergie brute, explosive, de ces jeunes musiciens de Kigali, raconte Michiel Robberecht, le réalisateur du film. La kinyatrap, avec ses sons crus et son expression débridée, semblait percuter le calme ordonné et le silence feutré qui recouvre le plus souvent la ville de Kigali. J’avais très envie d’explorer le bouillonnement de ce mouvement musical qui, dans cet environnement contrôlé, sert d’exutoire à la jeunesse. »
Bushali, B-Threy, Dr. Nganji, Dizo Last, Slum Drip, Mazimpaka Prime, Ice Nova… à Kigali, c’est toute une génération de jeunes rappeurs et beatmakers qui publient chansons et clips qui racontent la vie au ras du sol, et le ciel où ils lancent leurs rêves. Au point que leur son est devenu la bande-son de toute une jeunesse urbaine. Ensemble, comme le raconte B-Threy dans le film, ils ont développé un vocabulaire, inventé des mots qui forment un langage d’initiés et forgé un nouveau style, de nouveaux codes vestimentaires et une manière d’être qui libère des usages compassés et discrets des générations passées.
Dans la kinyatrap, on n’est pas étonné d’entendre l’argot de Kigali côtoyer sorties en swahili, exclamations en langue arabe, apostrophes en anglais et double sens francophones, le tout joyeusement fusionné à la langue kinyarwanda, hautement riche en métaphores.
Si la rumeur les dit inspirées par le kwivuga, tradition orale rwandaise qui se pratique lors des grands rassemblements, la plupart des chansons de kinyatrap décrivent les difficultés de la vie urbaine, la volonté de réussir et l’importance du collectif.
Dans ce film, on entre dans le quotidien de B-Threy au pays des mille collines : dans les rues de son quartier où il croise ses fans, à la rencontre de son père qui voyait autrefois d’un très mauvais oeil la passion de son fils pour la musique, mais qui -sans le dire- paraît aujourd’hui plus fier que jamais. Peut-être, et c’est ce que suggère B-Threy, lui qui aurait voulu devenir écrivain a trouvé dans son fils une relève capable de réaliser ses rêves. Des questions qui habitent le rappeur, devenu à son tour un jeune papa. Ce qui ne l’empêche pas de sortir jouer au billard avec ses potes et, comme autrefois, de s’asseoir sur la portière de leur voiture lancée dans la nuit de Kigali. Car le documentaire ouvre aussi une fenêtre sur la vie intime et parfois mouvementée des kinyatrappers qui ont lancé le mouvement, comme Dr Nganji le fondateur des studios Green Ferry, ou la superstar Bushali, le temps d’une session en studio. Entre deux discussions sur la vie de rue avec ses potes, on y voit aussi une star mûre réfléchir à son rôle de père et à son ambition d’incorporer son héritage rwandais dans sa musique, son look et sa vision.
Découvrez le monde la kinyatrap, et les réalités de la jeunesse rwandaise à travers les yeux de l’un de ses leaders dans ce nouvel épisode de notre série « Off The Map ».